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La cyberdépendance: quand Internet prend les commandes

Lundi, 16h30: Mathieu est devant son ordinateur. Il joue depuis dimanche après-midi à son jeu en ligne préféré. Il n’a ni déjeuné ni dîné et il est en train de manquer son cours. Ses notes ont beaucoup diminué dernièrement et ses colocataires ont remarqué qu’il ne sort presque plus de sa chambre. Lorsqu’il le fait, il est maussade, irritable, fait ce qu’il a à faire et se hâte d’y retourner. Hier soir, sa copine Sophie l’a invité à une fête, mais il a décliné l’invitation en prétextant qu’il avait un travail important à remettre aujourd’hui. Elle et lui se voient de moins en moins ces temps-ci et ils se disputent souvent au sujet du manque de disponibilité de Mathieu.

Nathalie habite avec son copain Frédéric depuis 1 an environ, mais elle est insatisfaite de leur relation. Depuis quelques mois déjà, elle s’isole dans le bureau de leur appartement pour échanger des messages et discuter avec des garçons sur des sites de rencontre. Elle se dit qu’elle ne fait que flirter avec eux et que ce n’est pas comme si elle trompait Frédéric; après tout, cela ne se passe pas dans la réalité. Toutefois, elle passe de moins en moins de temps avec lui et ils ne font presque plus l’amour.

Les exemples ci-dessus illustrent comment l’utilisation problématique d’Internet et des nouvelles technologies peut être la cause de difficultés pour plusieurs, que ce soit au plan personnel ou au plan interpersonnel.

Introduction

Depuis une vingtaine d’années, Internet a révolutionné la façon de communiquer et la manière de travailler. Grâce à cette technologie, il est maintenant possible d’échanger de façon ultra rapide ou d’accéder en quelques clics à une source quasi infinie d’information. De plus, s’il était surtout utilisé pour le travail à l’origine, Internet a rapidement envahi d’autres sphères de la vie, notamment celle des loisirs.

On assiste aujourd’hui à l’éclosion d’une panoplie d’appareils et de gadgets qui en facilitent l’accès et l’utilisation tels que les ordinateurs portables, les téléphones intelligents, les tablettes intelligentes, etc. Ces innovations technologiques donnent à leur tour naissance à une multitude de sites, d’applications et d’activités qui font aujourd’hui partie du quotidien. À titre d’exemple, mentionnons les sites de réseautage social (Facebook, YouTube, Instagram, TikTok, OnlyFans, Twitter, MySpace), les jeux en ligne et jeux massivement multijoueurs (ex.: Call of Duty, Minecraft, Fortnite) et les enchères en ligne (eBay). Si pour la majorité, l’avènement d’Internet et de ses multiples applications constitue un avantage indéniable qui facilite la vie, certaines personnes n’arrivent plus à contrôler le nombre d’heures qu’elles passent devant leur ordinateur ou leur console de jeu. On dit que ces personnes font un usage problématique d’Internet et des nouvelles technologies ou qu’elles sont atteintes de cyberdépendance ou de cyberaddiction.

Qu’est-ce que la cyberdépendance?

On définit l’utilisation problématique d’Internet et des nouvelles technologies comme étant «une utilisation des technologies ou des moyens de communication offerts par Internet qui engendre des difficultés chez l’individu» (Sergerie, 2005). «Cette surutilisation amènerait un sentiment de détresse et des difficultés au niveau psychologique, social ou professionnel» (Caplan, 2002; Young, 1998, 2004). Selon Griffith (1998), certains critères doivent être considérés dans l’examen de l’interaction entre l’humain et la technologie.

  • Prédominance: le comportement ou l’activité occupe une place prédominante dans la vie de l’individu, souvent au détriment d’activités ou de relations réelles. Ex.: pensées récurrentes ou envahissantes concernant la dernière séance d’Internet ou anticipation des séances à venir.
  • Modification de l’humeur: conséquence du comportement ou de l’activité. Par exemple: impression d’apaisement ou d’engourdissement euphorique.
  • Tolérance: besoin d’augmenter la quantité de temps consacré à l’activité pour obtenir les mêmes effets. Par exemple: passer plus de temps en ligne, investir des montants d’argent plus élevés pour les paris, etc.
  • Symptômes de manque: sensations désagréables ressenties lorsqu’il y a cessation ou réduction dans la fréquence ou la durée d’utilisation. Par exemple: éprouver un sentiment de vide intérieur ou être irritable.
  • Conflits: entre le milieu de travail, le réseau social, la vie familiale et l’individu. Par exemple: mentir à ses proches au sujet de son utilisation d’Internet.
  • Rechute: efforts répétés, mais infructueux pour contrôler ou réduire le temps passé en ligne.

Types de cyberdépendance

La cyberdépendance peut prendre des formes variées. Les plus fréquentes sont:

  • Les activités sexuelles en ligne: cybersexe, échange, visionnement et téléchargement de matériel pornographique («cyberpornographie»), recherche de partenaires sexuels en ligne, comportements masturbatoires durant les périodes de connexion, de clavardage ou de communication par webcam. La personne court le danger de privilégier les activités sexuelles en ligne au détriment de relations sexuelles réelles avec sa ou son partenaire.
  • Les cyberrelations: elles ont un aspect interactif et réfèrent aux rencontres, aux échanges et aux relations développées ou maintenues par le biais d’Internet ou des nouvelles technologies. Elles concernent notamment les sites de rencontres, de réseautage social, le clavardage, les textos sur messagerie mobile, les courriels. Le fait de prioriser les cyberrelations au détriment des relations amicales et familiales réelles peut mener à la détérioration de ces dernières contribuant ainsi à l’isolement du cyberdépendant.
  • Les jeux en ligne: jeux vidéo, jeux de hasard et transactions en ligne (ex.: poker en ligne, enchères, transactions boursières, achats en ligne, etc.). Cette forme de cyberdépendance peut également amener l’individu à consacrer un nombre d’heures significatif à ces activités au détriment des autres activités présentes dans sa vie.
  • La recherche d’informations: concerne la navigation (surfing) sur Internet et le cyberamassage (amasser d’importantes quantités de contenu et d’information en ligne). L’individu passe de longues périodes à la recherche d’information en ligne, contribuant ainsi à une réduction de sa productivité (au travail, dans les études), à une réduction du temps accordé aux autres tâches en général, à une surcharge de travail et, par conséquent, à une hausse des facteurs de stress.

Facteurs prédisposants, facteurs déclencheurs et facteurs de maintien

Il est difficile d’identifier avec précision les facteurs impliqués dans le développement des dépendances. Toutefois, la documentation indique que certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres de développer une dépendance (alcool, drogue ou jeu) due à certaines dispositions de leur personnalité. Cela pourrait aussi être le cas avec Internet. En ce qui concerne les déclencheurs, on croit que le plaisir ressenti lors de la première utilisation suffit à déclencher le développement de la dépendance, laquelle est maintenue et entretenue par la gratification immédiate liée à l’évitement de sensations désagréables.

Prenons l’exemple d’une étudiante ou d’un étudiant qui aurait ressenti un plaisir ou une excitation après avoir découvert un jeu en ligne. Le fait de continuer à jouer lui permettrait d’éviter temporairement de ressentir des sensations désagréables comme penser à l’examen qu’il doit préparer la semaine prochaine ou la peur de ne pas obtenir son diplôme. Il continuera à jouer par la suite parce que cela lui fait du bien.

Symptômes et conséquences

Typiquement, les conséquences négatives liées à l’utilisation excessive d’Internet apparaissent de façon insidieuse et ne se manifestent généralement qu’après plusieurs mois. Elles sont susceptibles de se propager à l’ensemble des sphères d’activité de la personne. Globalement, on peut regrouper ces symptômes en 2 catégories: les symptômes physiologiques et les symptômes psychologiques.

Les symptômes physiologiques peuvent se présenter de la façon suivante: syndrome du canal carpien (engourdissement, picotements dans la main qui s’accompagnent de douleur et d’une perte de dextérité), sécheresse des yeux, maux de tête et migraines chroniques, négligence de l’hygiène personnelle, maux de dos, alimentation irrégulière, repas escamotés et de mauvaise qualité, insomnies ou modifications dans le cycle du sommeil.

Les symptômes psychologiques: ces symptômes sont soit positifs ou agréables pour l’individu, soit négatifs, désagréables ou souffrants. Parmi les symptômes agréables, il y a principalement le sentiment de bien-être, de soulagement ou d’euphorie ressenti pendant l’utilisation d’Internet. Il peut également y avoir des pensées agréables à propos d’Internet, par exemple l’anticipation des séances à venir.

Toutefois, bien qu’elle puisse être souvent gratifiante, satisfaisante et agréable, l’utilisation problématique de cette technologie peut également se révéler obsédante et souffrante du point de vue psychologique. Par exemple, l’individu peut ressentir un sentiment de vide, de dépression, d’anxiété, ou d’irritabilité lorsqu’il est hors ligne ou lorsqu’il est incapable de se connecter. Les périodes d’utilisation peuvent également être suivies d’émotions désagréables telles que la culpabilité ou la honte.

Finalement, l’incapacité à cesser ou à diminuer l’usage d’Internet ou le besoin de prolonger le temps de connexion peut être à l’origine d’une multitude d’autres difficultés personnelles ou interpersonnelles. Par exemple, la personne peut avoir moins d’intérêt ou consacrer moins de temps aux autres activités hors ligne. Éventuellement, le fait de favoriser les activités virtuelles au détriment de la réalité peut causer une altération du niveau de fonctionnement, des difficultés relationnelles (familiales, amoureuses, professionnelles), des pertes d’emploi, de l’isolement social, etc. Pour les amateurs de jeux de hasard, cette dépendance peut être à l’origine de difficultés financières et de conflits interpersonnels qui peuvent ultimement mener à des problèmes extrêmement sérieux comme la dépression, voire le suicide.

Êtes-vous accro à Internet?

Passez-vous plus de temps connecté à Internet que vous aimeriez le faire? Voici quelques questions pouvant vous aider à évaluer si votre utilisation d’Internet et des nouvelles technologies est problématique.

  • Avez-vous du mal à limiter le temps que vous passez sur Internet?
  • Est-ce que certains des membres de votre famille ou vos relations se sont déjà plaints de votre utilisation d’Internet?
  • Trouvez-vous difficile de ne pas vous connecter à Internet pendant quelques jours consécutifs?
  • Est-ce que votre rendement au travail ou vos relations interpersonnelles ont déjà souffert en raison du temps passé sur Internet?
  • Existe-t-il des sites particuliers que vous trouvez difficile d’éviter?
  • Avez-vous de la difficulté à contrôler l’impulsion d’acheter des produits ou des services proposés sur Internet?
  • Avez-vous, sans succès, essayé de diminuer le temps que vous passez sur Internet?
  • Déviez-vous beaucoup de vos champs d’action et satisfaction à cause d’Internet?

Si vous avez répondu «Oui» entre 0 et 3 fois à ces questions, vous avez peu de chance de développer une dépendance à Internet. Entre 4-6 «Oui» indique que vous pouvez, ou non, avoir une tendance à devenir dépendant d’Internet. Si votre score est de 5 «Oui» ou plus, vous avez plus de chance de devenir dépendant d’Internet.

Comment décrocher?

Comme il est possible de le constater, la cyberdépendance peut être à l’origine de plusieurs difficultés et conséquences désagréables dans la vie de l’individu. Pour certains, la prise de conscience de l’existence du problème et un effort soutenu d’autodiscipline s’avéreront suffisants pour régler le problème. Pour d’autres, un suivi et un traitement psychologiques seront nécessaires. Dans ce dernier cas, une intervention en deux temps sera souvent privilégiée.

  • Observer: l’auto-observation de son utilisation d’Internet constitue un bon point de départ. En effet, le fait d’observer ses sentiments, ses pensées et ses comportements en lien avec l’utilisation d’Internet et des technologies peut amener des prises de conscience qui permettent d’orienter et de cibler efficacement les interventions par la suite. Outre les pensées et sentiments, l’observation devrait également porter sur la fréquence, la durée et le contexte de l’utilisation d’Internet.
  • Agir: Young (1999) propose une série de conseils pour aider une personne à utiliser Internet de manière plus appropriée et saine. Elle suggère notamment de pratiquer des habitudes et des comportements opposés (activités qui sont moins dommageables pour la personne dans les périodes où elle se connecte habituellement). Exemple: prendre sa douche et déjeuner avant de se connecter pour la personne qui le fait habituellement en sortant du lit. Cette personne peut aussi utiliser des alarmes externes pour gérer son temps de connexion. Il est également recommandé d’établir des objectifs réalistes quant à la réduction ou à la cessation de l’utilisation des applications problématiques. L’utilisation de cartes de rappel à propos des objectifs ainsi que des conséquences négatives de l’utilisation problématique d’Internet permet de maintenir la motivation. On suggérera aussi l’intégration d’activités plaisantes à caractère social ou d’activités de détente.

Conclusion

En terminant, l’utilisation d’Internet et des nouvelles technologies, même intensive, n’est pas nécessairement pathologique. Certains auteurs (Vallerand et coll. 2003) ont établi une distinction entre la passion obsessive et la passion harmonieuse. La passion est considérée comme obsessive lorsqu’elle amène l’individu à ressentir une envie incontrôlable de s’engager dans une activité. Dans ce type de passion, l’activité est survalorisée et entre en conflit avec d’autres domaines de la vie de l’individu. En revanche, dans la passion harmonieuse, la personne choisit librement de s’engager dans l’activité et elle le fait par plaisir. Ici, l’activité est librement acceptée comme étant importante, elle est valorisée sans excès et elle n’engendre pas de conflit avec les autres domaines de la vie.

Finalement, la pratique d’une activité devrait idéalement répondre à des besoins réels et procurer un sentiment de satisfaction, de réalisation de soi ou de bien-être durable. Toutefois, si celle-ci ne procure qu’une excitation temporaire et laisse la personne avec un sentiment d’ennui, d’inachèvement, de vide ou de désespoir par la suite, il est probable qu’elle ne réponde pas à ses besoins réels. Si en plus, elle lui cause une souffrance considérable ou qu’elle n’arrive plus à contrôler le temps qu’elle y consacre ou à l’intégrer parmi l’ensemble de ses activités, il est possible qu’elle ait développé une dépendance. Elle ne doit alors pas hésiter à demander de l’aide.


Références

  • Caplan, S. E. (2002). Problematic Internet use and psychosocial well-being : development of a theory-based cognitive-behavioral measurement instrument. Computers in Human Behavior, 18, 553-575.
  • Griffiths, M. (1998). Internet Addiction : does it really exist? Dans J. Gackenbach (Éd.), Psychology and the Internet: Intrapersonal, interpersonal, and transpersonal implication (pp. 61-75). San Diego; Toronto: Academic Press.
  • Sergerie, Marie-Anne. Cyberdépendance. Marie-Anne Sergerie, Ph.D. psychologue [En ligne] (page consultée le 3 juin 2024).
  • Sergerie, M.-A. (2020). Cyberdépendance : Quand l’usage des technologies devient un problème. La Presse.
  • Vallerand et coll. (2003). Les passions de l’Âme : On Obsessive and Harmonious Passion. Journal of Personality and social psychology.
  • Young, K. S. (1998). Internet addiction: the emergence of a new clinical disorder. CyberPsychology and Behavior, 1(3), 237-244
  • Young, K. S. (1999). Internet addiction: symptoms. evaluation and treatment. Dans L. VandeCreek et T. Jackson (Eds). Innovation in Clinical Practice: A source Book, 17, 19-31.
  • Young, K. S. (2004). Internet addiction:  a new clinical phenomenon and its consequences. American Behavioral Scientist, 48(4), 402-415.

Rédigé par: Philippe Daris, psychologue, avec la participation de Marcel Bernier, psychologue

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